La Manufacture de Digoin a connu bien des aventures depuis sa création en 1875. Après sa fermeture en 2003, elle est restée endormie pendant plus de 10 ans. En 2014, elle touche le cœur d’une femme, Corinne Jourdain Gros. Cette dernière la tire de son sommeil et lui apporte tout l’amour dont elle avait besoin pour reprendre vie.
Entre mythe et réalité, Corinne Jourdain Gros, aujourd’hui Directrice Générale de la Manufacture de Digoin, nous raconte que le retour à la vie de la manufacture est aussi synonyme de retour aux sources. Rencontre sur les terres de Bourgogne.
Rien ne laissait présager que la Manufacture de Digoin reprendrait vie. Mais ça, c’était avant que Corinne Jourdain Gros ne visite les lieux en 2014 et ne relance l’activité, trouvant le juste milieu entre patrimoine et innovation. « Au début, le projet de reprise me plaisait moyennement ; l’identité était top marquée pour moi d’un point de vue patrimonial. Mais quand j’ai visité le site, j’ai eu un coup de foudre en même temps que la vision de ce que je voulais en faire. »
Avant d’arriver sur le site de la manufacture, à Goin, en Bourgogne, Corinne Jourdain Gros emprunte un tout autre chemin et retourne sur les bancs de l’école. « Je travaillais pour l’Agence Publicis, où j‘étais en charge des stratégies de marques (…) Mon amour profond pour les objets manufacturés, le design, la céramique a fait que j’ai voulu changer et devenir Responsable de Collection. Comme je n’avais pas d’expérience, j’ai fait un MBA « Construction de collection d’art » à l’Institut français de la mode, à Paris ».
C’est là que le projet de reprendre une ancienne manufacture germe : « Le sujet de mon mémoire de fin d’étude portait sur les manufactures d’art et leurs origines ; Ce fut le déclic qui m’a amené à vouloir reprendre une manufacture centenaire (…) Je voulais faire perdurer des façons de travailler, des savoir-faire et tout le patrimoine qu’il y a derrière ».
Poterie de grès : le retour à l’essentiel
Pendant 2 ans, Corinne Jourdain Gros entame une étude sur le marché à la fois sociétal et comportemental. Elle fera ressortir une tendance globale, celle d’un retour aux valeurs à travers les objets d’art. Elle se rapproche d’investisseurs privés et passionnés pour concrétiser son projet de reprise. « J’ai cherché à m’entourer d’investisseurs qui ne recherchent pas le retour sur investissement immédiat ou la croissance absolue mais des individus qui comprennent nos métiers ».
Pour cette femme qui ne s’est pas vue devenir Chef d’entreprise tant la passion pour son métier la porte, il est primordial de participer à la mémoire collective pour les jeunes générations et celles à venir. « Ce regain des publics pour la céramique et les objets historiquement marqués peut s’apparenter à une recherche de stabilité et à un retour à l’essentiel dans une société où tout va vite, où les frontières virtuelles et physiques tendent à disparaître, notamment par les phénomènes de digitalisation et de mondialisation ».
Ce phénomène s’observe jusque dans les choix professionnels des jeunes et au sein même de son équipe. « De plus en plus d’adolescents et même d’adultes en reconversion professionnelle choisissent des métiers anciens, manuels, d’art, nobles pour s’orienter (…) Chez nous, ce sont les anciens proches du départ à la retraite qui forment les jeunes (…) Ce transfert de compétences est essentiel lorsqu’il s’agit d’intégrer des gestes que les formations professionnelles ne suffisent pas toujours à bien maîtriser ; rien ne vaut l’expérience, surtout lorsqu’on touche à la matière ».
« Nous sommes et resterons une manufacture à taille humaine »
Aujourd’hui, l’entreprise emploie une vingtaine de personnes qui remettent au « goût du jour » les pots à vinaigre, à eau, les gobelets et pichets, les cuillères de service, cruchons, assiettes, terrines, pintes à cidre, et les écuelles de la manufacture. « Fin 18ème, le grès était une matière noble pour conserver les aliments. Nous voulons maintenir cette noblesse en la doublant d’une certaine élégance pour rendre à nos objets leur humanité et leur histoire, loin d’un style uniformisé ».
Pour faire rayonner la Manufacture de Digoin en France comme à l’international, Corinne Jourdain Gros a quelques astuces. « Nous exportons en Angleterre, aux Etats-Unis, Japon, et en Australie, où le savoir-faire français est très recherché, (…) Nous travaillons aussi beaucoup avec des concepts-stores et des grandes marques. »
Si la Manufacture de Digoin a un bel avenir devant elle, elle sait le construire chaque jour, loin des marchés encombrés. « Nous sommes et resterons à taille humaine. Nous ne voulons pas grossir pour grossir. Notre valeur ajoutée réside dans le fait que notre activité est semi artisanale et elle le restera ».