C’est un peu chez lui, à la Tour d’Argent, que nous rencontrons Stéphane Trapier. Deux bougies imprègnent le rez-de-chaussée et introduisent un univers élégant et chaleureux. Avant de découvrir la salle emblématique en haut de la Tour, nous discutons en bas de sa philosophie de travail : Comment perpétue-t-il l’esprit de la Maison, entre tradition et modernité ? Quel regard porte-t-il sur les arts de la table ?
Moins d’objets, plus de repères
Lorsqu’il intègre l’équipe de direction de salle, il y a six ans, Stéphane Trapier connait déjà l’identité de la Tour d’Argent puisqu’il y est sommelier. Il apprécie déjà l’adéquation des verres Riedel avec les vins français. « Ces verres en cristallin mettent en valeur le vin, ils facilitent l’association avec nos mets. Le restaurant est fier de ses traditions, comme ces verres, mais souhaitait aussi moderniser son art de la table, repenser une expérience globale ».
En conservant un style aux accents baroques, Stéphane Trapier et son équipe réfléchissent à une nouvelle table, plus légère. La nappe épaisse et d’un jaune franc laisse place à un tissage plus clair et léger. « Il nous a fallu deux années pour trouver la juste couleur ; un blanc cassé qui met en valeur les tables de jour comme de nuit. La timbale a également été redessinée pour devenir plus légère. Elle comporte toujours notre logo mais plus discrètement qu’avant. Elle est identitaire, comme le canard en argent ». Ce canard emblématique se présente désormais en cristal Baccarat ou cristal Lalique. Chaque canard est unique mais tous sont transparents et colorés.
Pour Stéphane Trapier, alléger les tables était nécessaire. Les objets incontournables, comme les candélabres de Christofle, suffisent à orner l’espace. « Je pense cette épuration nécessaire dans une société où les informations et objets abondent. Si les gens ne savent plus choisir, un directeur de salle doit être capable de le faire pour eux ».
Le dessein du geste
Depuis quelques années, ce chorégraphe culinaire observe des changements de comportement. Le repas serait le meilleur moment pour les constater. « Les convives sont moins stricts à table, la rigueur a laissé place à une curiosité bienvenue », confie-t-il avec passion. La découverte tactile de la table devient, pour le convive, un moyen d’établir son espace de confort. Mimant une caresse sur la nappe, il nous expose le circuit habituel : d’abord le linge, puis la timbale. Ensuite l’assiette de présentation, parfois jusqu’à la retourner pour découvrir la signature Christofle. Enfin, la serviette. Tous ces objets mettent en confiance, ils servent de repères dans un contexte qui bouleverse parfois les habitudes culinaires. « Pour les restaurants gastronomiques, le plus important est d’obtenir la confiance du convive… et la conserver. Il peut alors lâcher-prise et profiter de l’expérience ».
Stéphane Trapier voit dans le moindre regard, dans le moindre mot, un indice sur le ressenti du convive. Mais la gestuelle devient pour lui l’indication la plus précieuse. Tous ces gestes d’appropriation de l’espace sont autant de sources d’inspiration pour recréer les ustensiles. Le beurrier, accompagné de son tartineur emblématique, a par exemple nécessité une création lente et minutieuse pour affiner son maniement. « Avec notre exigence de mise en scène, un petit objet devient très complexe. Pour le beurrier, tout s’est joué à 3mm près ».
Ce chef d’équipe aguerri profite de capacités d’observation et d’analyse redoutables. Dans ce métier, tout est aussi affaire de travail, de recherche. En constante veille, Stéphane Trapier se retrouve dans cette Maison qui ne s’interdit rien. « Les gens se lassent de plus en plus vite. Changer ne signifie pas faire mieux à tout prix, mais il faut savoir étonner à nouveau, réinventer les tables pour éveiller les sens ».